La fiscalité et la réglementation de l’État font partie intégrante de toute économie. Ces règles guident les entreprises et les particuliers vers une prise de décision éclairée à court, à moyen et à long terme.
Depuis longtemps, ce sont la sécurité, la stabilité et le caractère prévisible de l’économie canadienne qui ont attiré les investisseurs. En d’autres mots, le marché offrait de la certitude. Les entreprises canadiennes sont le fruit des investissements qui ont été faits par une diversité d’organisations et de personnes, qui y ont mis du leur en dépit des coûts potentiellement plus élevés des activités commerciales au Canada, car ils savaient qu’ils auraient droit à un régime fiscal stable fondé sur une législation claire, juste et prévisible.
Par contre, les modifications apportées à la politique fiscale ces sept dernières années n’ont fait qu’éroder cet avantage, ce qui a nui à l’image du marché canadien.
MNP fait affaire avec des professionnels, des entreprises (plus de 180 000) et des agriculteurs (plus 19 000) qui sont de véritables moteurs de l’économie canadienne. Avec un réseau de près de 10 000 professionnels répartis dans 130 bureaux partout au pays, MNP est en bonne posture pour prendre le pouls de ses clients, et il va sans dire qu’un certain malaise commence à s’installer.
D’ailleurs, ce malaise s’est aggravé en 2024. Dans les dernières années se sont enchaînées des modifications réglementaires et législatives complexes au système fiscal canadien. Si l’on ajoute le lourd fardeau administratif qui pèse sur les propriétaires d’entreprise en dehors des considérations fiscales, ne cherchons pas d’où provient ce climat d’incertitude. Un tel climat se traduit par un manque de confiance dans le système fiscal, ce qui nuit à la concurrence, à l’innovation, à la productivité et à l’investissement. S’ils souhaitent corriger le tir, les décideurs doivent absolument revoir leur vision de ce que devrait être une réforme fiscale.
Obstacles réglementaires en série depuis 2017
Mesures fiscales
Comme les modifications importantes au régime fiscal faites depuis sept ans ne sauraient être considérées en vase clos, en voici un portrait global. Bon nombre d’entreprises privées, tout comme leurs propriétaires, ont subi les conséquences de plus d’une de ces mesures, dont les effets cumulatifs se sont avérés néfastes.
Fiscalité de sociétés privées sous contrôle canadien
En 2017, le gouvernement fédéral a proposé une série de mesures ciblant la fiscalité des entreprises à capital fermé canadiennes, notamment les suivantes :
- Règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné : Ces règles cherchent à encadrer la répartition du revenu. Elles sont faites pour être contraignantes et ne reconnaissent à peu près pas la contribution des membres d’une même famille aux activités d’une entreprise familiale. Les dispositions législatives elles-mêmes sont subjectives, ce qui est source d’incertitude quant à leur application. À ce jour, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a rendu plus de 50 décisions anticipées en impôt sur ces mesures, et une hausse est à prévoir à mesure que les contribuables voudront avoir des précisions sur leur application.
- Effet dissuasif sur la détention de placements passifs dans une société privée : Les propriétaires d’entreprises à capital fermé effectuent des placements passifs pour financer leur retraite et des dépenses en immobilisations. Ces changements fiscaux touchant les revenus passifs, qui influent directement sur l’accès à la déduction accordée aux petites entreprises, ont eu de graves conséquences. Maintenant, les propriétaires d’entreprise doivent choisir entre l’épargne, que ce soit pour la retraite ou pour l’entreprise, et la gestion des impôts et des liquidités.
- Contrer la conversion des revenus en gains en capital par l’intermédiaire d’une société privée : Au début, les mesures proposées ratissaient trop large. Même si le gouvernement ne les a jamais mises en œuvre dans leur forme initiale, il semble être parvenu à ses fins par d’autres changements à la fiscalité venus plus tard.
Exigences de déclaration pour les fiducies (T3)
En 2018, le gouvernement fédéral a pour la première fois annoncé des propositions législatives portant sur de nouvelles exigences de déclaration pour les fiducies, lesquelles devaient s’appliquer aux années d’imposition closes à compter du 31 décembre 2021. Cependant, la date d’entrée en vigueur a été reportée au 31 décembre 2023, probablement en raison de la complexité des mesures et de l’ampleur de leurs effets, notamment l’exigence pour les simples fiducies de produire une déclaration annuelle. Encore aujourd’hui, le doute plane quant à la situation des simples fiducies.
Bon nombre de contribuables ignoraient s’ils devaient se soumettre à une exigence de déclaration, étant donné que la simple fiducie est une notion de droit qui n’est pas définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Le 28 mars 2024, l’ARC a fini par annoncer que les simples fiducies seraient pour la plupart exemptées des exigences de déclaration pour l’année d’imposition 2023. Elle a fait cette annonce tout juste avant la date limite de production du 30 mars. Nombreux étaient les contribuables qui avaient déjà investi temps et argent pour respecter leurs obligations fiscales. Il est difficile de savoir si les mesures proposées le 12 août 2024 qui visent les nouvelles règles de déclaration pour les fiducies permettront de dissiper l’incertitude de ces dernières années.
Règles sur les transferts intergénérationnels d’entreprises
Le projet de loi C-208, adopté en 2021, a permis la mise en place de nouvelles règles pour faciliter le transfert intergénérationnel d’une entreprise familiale. Avant, il était plus coûteux, fiscalement parlant, de vendre l’entreprise à un membre de la famille qu’à un tiers. Cela dit, les mesures additionnelles annoncées dans le budget fédéral de 2023, qui ont été adoptées en juin 2024, sont bien plus strictes et offrent peu de répit à ceux qui veulent passer le flambeau de l’entreprise familiale.
Taxe sur les logements sous-utilisés (TLSU)
La mise en place de la taxe sur les logements sous-utilisés en 2022 a généré d’importantes exigences de déclaration pour les propriétaires canadiens d’immeubles résidentiels. La complexité des règles et les imposantes exigences de déclaration sont devenues sources d’incertitude pour les contribuables.
L’ARC a annoncé un allègement administratif des pénalités et des intérêts pour la production tardive des déclarations de TLSU de 2022 et les paiements versés après la date limite. Même si cet allègement constituait une bonne nouvelle, il mettait en relief la complexité et l’incertitude sous-jacentes auxquelles étaient confrontés les contribuables pour s’assurer de leur conformité. De plus, même si le gouvernement a annoncé des modifications aux exigences de déclaration de TLSU en 2023, elles ne sont toujours pas adoptées, même si la date limite de déclaration est déjà passée.
Règles de divulgation obligatoire des opérations à déclarer ou à signaler
À l’instar d’autres modifications législatives, ces règles sont parfois ambiguës quant à la personne ou à l’entité responsable de la divulgation obligatoire, ce qui en plus lui laisse peu de temps pour s’en charger. Dans certains cas, plusieurs parties devront recueillir et envoyer les mêmes informations à l’ARC. Ces règles alourdissent le fardeau administratif déjà lourd placé sur les épaules des contribuables, qui doivent s’assurer de leur conformité pour éviter de s’exposer à des pénalités.
Règle générale anti-évitement (RGAE)
Les modifications à la Règle générale anti-évitement récemment adoptées sont source d’incertitude, parce qu’elles visent à contrecarrer des années d’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu faite par la jurisprudence. On n’aura une idée claire de l’application de la règle révisée que lorsqu’elle aura subi l’épreuve des tribunaux chargés des affaires fiscales, ce qui risque de prendre des années.
Impôt minimum de remplacement (IMR)
Dans son budget de 2023, le gouvernement fédéral a annoncé des modifications au régime de l’impôt minimum de remplacement (IMR). Même si elles entraient en vigueur le 1er janvier 2024, ce n’est que le 20 juin 2024 qu’elles ont été promulguées. Il ne restait donc que quatre petites journées à bien des contribuables pour confirmer les conséquences fiscales de toute planification faite en réponse à l’annonce de l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital prévue dans le budget fédéral de 2024, qui elle entrait en vigueur après le 24 juin 2024.
Augmentation du taux d’inclusion des gains en capital
Dans son budget de 2024, le gouvernement fédéral a annoncé une augmentation du taux d’inclusion des gains en capital, avec prise d’effet le 25 juin 2024. Il aura fallu attendre jusqu’au 10 juin 2024 pour connaître le détail des propositions législatives. Pis encore, l’avant-projet de loi n’a été connu qu’en août 2024. Le court délai entre le dépôt du budget et l’entrée en vigueur des mesures annoncées, combiné au manque de détails sur l’augmentation du taux d’inclusion, a mis des bâtons dans les roues des contribuables qui évaluaient leurs options avant la date limite.
Autres mesures
Projet de loi S-211 : Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement
Ce projet de loi a imposé à nombre d’entreprises des exigences de déclaration imposantes, qui ont entraîné des répercussions en aval sur les petites entreprises. D’ailleurs, le manque de clarté n’a fait que créer de la confusion.
Programme canadien d’adoption du numérique (PCAN)
Le Programme canadien d’adoption du numérique suscitait un vif intérêt chez les propriétaires d’entreprise avant son annulation soudaine. À peine quelques semaines avant l’annonce de l’annulation du programme, le gouvernement fédéral informait les entreprises qu’elles pouvaient présenter une nouvelle demande. La fermeture inattendue allait dans le sens inverse, ce qui a pris bon nombre d’entreprises au dépourvu. Cette nouvelle était d’autant plus décevante pour les organisations qui avaient récemment découvert les bienfaits d’une telle subvention, sans avoir eu la chance de présenter leur demande.
Changer tout le temps, ça coûte de l’argent
Les propriétaires d’entreprise portent sur leurs épaules un lourd fardeau fiscal et doivent dépenser temps et argent pour respecter une multitude d’exigences de production annuelle, que ce soit sur le plan personnel (fiscalité des particuliers) ou professionnel (fiscalité des sociétés). Pire, certaines de ces dépenses sont de toute évidence parties en fumée en raison des exemptions ou des prolongations de dernière minute accordées par l’ARC, comme pour la déclaration de la taxe sur les logements sous-utilisés et la déclaration T3 de 2023 pour les simples fiducies.
Le milieu des affaires canadien est donc victime de ces constants revirements. De nouvelles règles sont adoptées à une vitesse éclair, sans indications précises sur leur incidence ou sur leur interaction avec la législation existante, ce qui ne peut que rendre la conformité des entreprises compliquée et plus dure à suivre après chaque changement.
Par conséquent, les entrepreneurs se sentent découragés par le risque économique accru provoqué par le manque de stabilité, la complexité de la politique fiscale actuelle et le fardeau administratif placé sur le dos des contribuables. Pour réussir, ils doivent travailler sans relâche et prendre des risques, ce que les nouvelles modifications semblent négliger.
Voici quelques-unes des conséquences relevées à la suite de la hausse du taux d’inclusion des gains en capital :
- Recrutement et rétention des médecins et des professionnels de la santé : Cette mesure fiscale, conjuguée à celles mentionnées plus haut, nuit à convaincre les professionnels de la santé à exercer leurs activités au Canada. La population doit déjà composer avec une pénurie de médecins de famille, compte tenu des départs anticipés à la retraite, de la réduction des heures de travail, voire de l’abandon de la profession. Le système de santé se trouve donc fragilisé, surtout dans les régions rurales qui se battent pour ne pas devenir des déserts médicaux.
- Investissement dans le secteur des technologies au Canada : Les entreprises de technologie ont souvent recours au financement par capitaux propres pour grossir. Or, la hausse du taux d’inclusion augmente l’impôt à payer lors de la disposition d’actions et de la réalisation de gains en capital, ce qui oblige bien des investisseurs à réviser leur plan. Le fait que de jeunes entrepreneurs songent à quitter le pays pour faire croître leur entreprise ailleurs est la preuve de la vulnérabilité de ce secteur à la mobilité.
- Répercussions sur la planification de la retraite et de la succession : En raison de la hausse du taux d’inclusion, les propriétaires d’entreprise qui comptaient financer leur retraite par le produit de la vente de leur entreprise se demandent maintenant si le montant après impôt sera suffisant. Les contribuables qui ont souscrit une assurance vie pour couvrir l’impôt au décès sont maintenant confrontés à une couverture insuffisante, même que certains ne sont désormais plus assurables.
Comme mentionné plus haut, les effets des modifications touchent non seulement les contribuables visés, mais aussi d’autres secteurs de l’économie canadienne.
Certes, l’investissement comporte un certain risque. Sauf que l’incertitude créée par la réglementation actuelle ne fait que l’amplifier. De nos jours, les entreprises hésitent à investir dans des secteurs susceptibles de subir les conséquences d’un changement de politique publique. La productivité s’en voit réduite, et l’innovation est en perte de vitesse.
Un manque de soin répété dans la mise en œuvre de changements à la politique fiscale a causé la rupture du lien de confiance entre les contribuables et le gouvernement. Tous les ordres de gouvernement au Canada compliquent et alourdissent de plus en plus les obligations de conformité réglementaire et fiscale des contribuables. Par ailleurs, le fait de fermer les yeux sur les effets néfastes de ce fardeau administratif et réglementaire ne ferait que nuire à la productivité et aux possibilités d’investissement dans le marché canadien.
Recommandations de MNP : Pour un avenir stable
L’incertitude, la complexité et le manque de soin dans la mise en œuvre de changements aux politiques (surtout fiscales) ne donnent pas envie d’investir au Canada.
Voici les recommandations de MNP pour la création d’un cadre réglementaire stable :
- Lancer une consultation collaborative avant le dépôt d’un projet de loi : Le gouvernement devrait s’engager à lancer davantage de consultations avec des groupes sectoriels et des spécialistes avant de présenter son projet de loi au Parlement. Il faut aussi qu’il tienne compte de la rétroaction. Sinon, ces consultations pourraient être perçues comme inutiles.
- S’engager à entreprendre une étude plus approfondie des effets cumulatifs des modifications fiscales sur les entreprises et plus largement sur l’économie canadienne : Une telle étude comprendrait une évaluation de l’effet cumulatif de chaque nouvelle mesure fiscale et des répercussions sur d’autres aspects de l’économie au Canada afin d’atténuer les conséquences imprévues.
- Assurer une meilleure harmonisation entre l’objectif des modifications et leur mise en œuvre : La consultation entre les ministères et les parties prenantes externes doit aussi servir à assurer l’atteinte des objectifs poursuivis par les changements sans causer un fardeau administratif injustifié, au détriment de tous les contribuables. Une planification rigoureuse doit être entreprise avant la mise en œuvre des changements afin d’éviter toute modification de dernière minute aux exigences de conformité, comme on a vu dans le passé.
Non seulement la mise en œuvre de ces recommandations encouragera les entrepreneurs canadiens à poursuivre leurs projets ici, mais elle permettra aussi au pays de redorer son blason sur la scène économique internationale.
Partout au pays, ce sont de nombreux Canadiens qui, pendant qu’ils s’attèlent avec ardeur à leur travail, paient le prix de l’incertitude économique et accusent les coups causés par l’accumulation de modifications fiscales depuis près de dix ans. Au bout du compte, l’incertitude, conjuguée à un plus lourd fardeau réglementaire, est la recette parfaite pour une productivité étouffée, une baisse des investissements et une position concurrentielle défavorable sur la scène internationale. MNP invite les gouvernements à rectifier le tir. Nous sommes toujours ouverts à la collaboration pour la mise en œuvre de politiques qui cherchent à offrir des solutions aux problèmes auxquels font face les entreprises et les Canadiens, où qu’ils soient.